21.04.2014 | Disséminations expérimentales en Suisse

160902agroscope
L’essai en plein champ ne sert à rien dans l’optique d’une recherche variétale axée sur la durabilité. Photo : Roland zh

L'office fédéral de l'environnement a autorisé une nouvelle dissémination expérimentale de blé transgénique sur le site protégé de Reckenholz. Il sera semé cet automne.

Collaboration entre Agroscope et l’Institut Leibniz de génétique des plantes et de recherche végétale (Institut für Pflanzengenetik und Kulturpflanzenforschung, IPK)
Il y a longtemps que l’IPK mène des recherches sur le blé génétiquement modifié. La variété de blé transgénique développée par l’institut à l’aide de méthodes de génie génétique contient un gène issu de l’orge qui modifie la teneur en protéine du blé et en accroît le potentiel de rendement. En Allemagne, des essais réalisés en plein champ avec un précurseur de la lignée de blé dont il est aujourd’hui question ont débouché sur la destruction de parcelles en avril 2008 et sur un long procès. L’IPK a demandé d’importants dommages et intérêts ; il a été débouté par le tribunal en 2016. Depuis lors, il n’y a plus eu de disséminations expérimentales en Allemagne.

Augmentation de rendement controversée
Agroscope avance que le rendement des cultures de blé doit augmenter d’environ 1,4% pour satisfaire les besoins d’une population mondiale toujours plus nombreuse. Une modification du métabolisme des plantes devrait permettre d’atteindre cet objectif. Selon le rapport sur l’agriculture mondiale, seuls 43% des céréales cultivées à travers le monde servent d’aliment. Le reste est transformé en fourrages, en carburants et en matières premières industrielles. Pour le Programme alimentaire mondial (PAM), ce n’est pas le niveau du rendement, mais la pauvreté, le climat et la météo, la guerre et l’exil, l’instabilité des marchés, le gaspillage alimentaire et le manque d’investissements dans les infrastructures qui sont les causes premières de la faim. Il y aurait donc bien des recherches à mener dans le secteur agroalimentaire qui répondraient mieux aux besoins de durabilité que les coûteux projets de biotechnologie.

Importance du blé
Pour un tiers de la population mondiale, le blé est un aliment de base. En Suisse, il représente la céréale la plus importante, avec plus de 80'000 hectares de culture. La modification génétique de cette céréale panifiable ne plaît guère à la population, que ce soit en Europe, en Asie ou aux Etats-Unis. En 2004 déjà, Monsanto et Syngenta renonçaient à leurs tentatives de commercialiser du blé transgénique aux USA et au Canada en raison des mauvaises perspectives économiques. Une étude conduite par le ministère de la recherche américain avait fait apparaître que sur plus de 70 pays importateurs de blé, seuls 4 auraient opté pour du blé génétiquement modifié.

Faible acceptation du blé GM
A ce jour, aucune variété de blé transgénique n’est commercialisée dans le monde. Le génome du blé est près de 35 fois plus grand que celui du riz et sa manipulation est extrêmement complexe. Le risque d’effets imprévisibles est donc impossible à écarter. Les protéines étrangères ont toujours un potentiel allergène. Mais il faut souvent attendre plusieurs années pour que les allergies apparaissent. Il n’existe aucun test permettant d’exclure à coup sûr un effet allergène. Une étude (Weichert 2010) a constaté que la manipulation génétique du métabolisme des protéines avait déclenché les changements suivants dans le métabolisme du blé :
- Développement altéré suite à la modification des hormones de la plante
- Croissance et floraison altérées
- Modification des gènes impliqués dans le métabolisme de l’amidon et des glucides
- Modification de la multiplication cellulaire, division des cellules.
La demande d’Agroscope ne tient pas suffisamment compte de ces résultats. L’IPK n’a jamais cherché à savoir dans quelle mesure ces modifications pouvaient être « préoccupantes ».

Croisement, distance d’isolement, dispersion de repousses
Agroscope estime que la capacité du blé à se croiser est très réduite. A l’inverse, plusieurs études documentent des distances d’isolement allant jusqu’à 1'000 mètres. Telle que proposée dans la demande, la distance de 5 mètres entre les parcelles expérimentales et les cultures commerciales de blé, de seigle ou de triticale est donc risquée et insuffisante. Il en va de même de la distance de 50 mètres entre le blé GM et les zones de multiplication de semences, qui n’est pas suffisante pour exclure entièrement les contaminations.

Coexistence douteuse
Une fois semé, le blé a la capacité de germer pendant près de 5 ans. Il existe donc un risque élevé de transfert de gènes par des repousses sauvages ou par le pollen. Aux Etats-Unis, du blé transgénique sauvage a été découvert en 2013. Il provenait d’un essai de dissémination vieux de plus de 12 ans. Des études effectuées au Canada comparent le potentiel de croisement du blé à celui du colza. Une coexistence semble donc impraticable et remet en question la culture commerciale de blé génétiquement modifié. Ce constat est encore plus vrai en Suisse, où l’agriculture est très parcellisée.

Antibiotiques
En Suisse, le recours à des gènes de résistance provenant d’antibiotiques utilisés en médecine humaine ou en médecine vétérinaire est interdit depuis 2009 pour des raisons de sécurité, même dans le cadre de disséminations expérimentales. Or l’une des lignées utilisées dans l’essai de terrain prévu contient une copie incomplète d’un tel gène (marqueur de sélection). Les requérants font certes remarquer que l’hygromycine, c’est-à-dire l’antibiotique auquel il a été recouru dans le cas d’espèce, n’est pas utilisé en Suisse pour le moment. Pour des raisons de sécurité, il vaudrait cependant mieux renoncer de manière générale à disséminer des plantes pourvues de ce type de marqueur.

Etudes sur les questions de biosécurité
Il existe une obligation légale de contribuer à améliorer les connaissances sur la sécurité biologique dans le cadre d’essais de terrain. La demande déposée ne fait état d’aucune recherche portant sur des questions fondamentales en lien avec la biosécurité. Les analyses visant à établir la période de floraison ne suffisent pas à satisfaire cette obligation légale.

Coût des essais de dissémination
Agroscope dépense annuellement 750’000 CHF pour l’exploitation de la parcelle protégée de trois hectares. La mise à disposition du site expérimental a été garantie par le Parlement jusqu’à fin 2017 moyennant un crédit spécial. Les essais avec le blé d’hiver se déploient sur plusieurs années et courent jusqu’en 2022. Une étude britannique a calculé que le développement d’une plante génétiquement modifiée coûtait en moyenne 136 millions de dollars. Ces frais doivent être couverts. S’il s’agit d’un développement commercial, le financement est assuré par les ventes de semences et par les redevances de brevets. La demande d’Agroscope ne dit rien sur la question des éventuels brevets.

 

Voir notre position : Fiche technique blé - octobre 2016