Un transgène rouge se propage dans une population de moustiques par forçage génétique. Image adaptée de GRAIN
À l’occasion de la Journée mondiale de l'alimentation, une coalition d’organisations, dont nous faisons partie, a appelé à un moratoire mondial sur l’utilisation du forçage génétique (en anglais, gene drive). Le moratoire s’applique tant à la recherche appliquée qu’aux disséminations expérimentales afin de stopper la pollution génétique incontrôlable d’espèces sauvages par forçage génétique. Un rapport sur les applications du forçage génétique, rédigé par ETC group et la fondation Heinrich Böll, accompagne cet appel au moratoire et démontre que cette technologie est, avant tout, un outil d’élimination des organismes identifiés comme nuisibles. Comme les pesticides, cet outil sera donc plus utilisé dans le but de générer des profits financiers pour l’agro-industrie que de contrôler la transmission des maladies tropicales.
Le forçage génétique a été développé pour forcer la transmission d’un caractère utile pour l’homme dans des populations sauvages d’insectes, d’animaux ou de plantes. La transmission de ce caractère est conçue pour être invasive, persister et se répandre. Le but est atteint en libérant dans l’environnement des organismes génétiquement modifiés qui, en se croisant avec des individus sauvages, transmettront à leur descendance un élément génétique capable de se copier. Austin Burt, un des pionniers de cette technologie, écrivait en 2003 que le forçage génétique avait le potentiel pour « manipuler des populations naturelles » et « éliminer ou modifier génétiquement des espèces particulières ». Cette prédiction est devenue réalité. Des programmes d’éradication par forçage génétique de moustiques, de mouches et de mites sont en cours ou vont être prochainement autorisés.
L’idée d’éliminer des insectes nuisibles n’est pas nouvelle. Les exemples d’application du forçage génétique mettent en avant l’élimination d’espèces d’insectes qui transmettent des maladies aux hommes comme les moustiques Aedes aegypti qui transmettent les virus la dengue et du chikungunya ou les moustiques Anopheles gambiae qui transmettent la malaria. Sous couvert de développer une technologie pour protéger la santé humaine, la même technologie est utilisée pour éliminer plus d’une dizaine d’espèces d’insectes nuisibles pour protéger les grandes monocultures mais aussi pour éliminer des nématodes, des champignons et des rongeurs. Des brevets d’application de cette technologie existent également pour modifier les plantes résistantes au glyphosate et les rendre à nouveau sensibles à l'herbicide. Ainsi, les véritables profits de cette technologie sont à chercher dans ces nombreuses applications agro-industrielles.
L'absence de l'agriculture dans les discussions sur le forçage génétique jusqu’à maintenant n'est pas un oubli. Le lobby agro-industriel est conscient de la forte opposition mondiale au génie génétique dans les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture. Il cherche donc à faciliter l’acceptation de cette technologie par le public en présentant uniquement les aspects de santé publique.
Mais le forçage génétique ne tient pas ces promesses sur les questions de santé publique. Selon un rapport de GeneWatch UK, les récents essais sur l’élimination des moustiques Aedes aegypti dans les îles Caïmans montrent des carences. Cette technologie est particulièrement coûteuse et n’atteint pas ses objectifs. Seuls 62% des moustiques sont éliminés, un taux insuffisant pour enrayer la transmission des maladies. Le résultat net de ces essais est donc une dissémination de gènes synthétiques dans l’environnement. De plus, la diminution du nombre de moustiques Aedes aegypti engendre l’augmentation du nombre de moustiques Aedes albopictus, vecteurs des mêmes maladies. L’évaluation des risques de la dissémination de cette technologie dans l’environnement n’a été modélisée que sur ordinateur et son impact sur l’environnement n’a fait pas l’objet d’études spécifiques lors des disséminations. Le principe de précaution n’a donc pas été respecté, au risque de mettre en danger les hommes et femmes vivant aux abords des zones de disséminations.
Cet exemple montre que le forçage génétique contribue à la propagation incontrôlée de gènes synthétiques dans une espèce sauvage, créant une pollution génétique. En réduisant la population d’une espèce, cette technologie contribue à modifier le système écologique d’une manière inattendue et son utilisation a été autorisée sans évaluation approfondie des risques. Le rapport à la base du moratoire le démontre. En étant appliqué à grande échelle en agriculture, le forçage génétique a le potentiel de déséquilibrer les réseaux alimentaires, réduire significativement la biodiversité et éradiquer les organismes bénéfiques tels que les pollinisateurs.
Un moratoire imposé au forçage génétique permettrait de réaliser une analyse approfondie de l’impact de cette technologie sur l'environnement, de mettre en place des méthodes de suivi et, au minimum, de développer des méthodes de confinement biologique afin de limiter l’étendue des dégâts potentiels. Un moratoire permettrait également d’initier un dialogue public sur cette technologie afin d’en établir des règles d’utilisation permettant de préserver notre souveraineté alimentaire et notre environnement.
- Lien externe: Appel au moratoire sur le forçage génétique
- Lien externe: Rapport sur les applications du forçage génétique de ETC group et de la fondation Heinrich Böll
- Lien interne: la traduction du rapport de GeneWatch UK "Insectes GM développés par Oxitec: un échec sur le terrain"